A ma douce...


En mémoire de Romane.
Belle et intrépide Romane, tuée à l'aube de sa vie d'adulte par un homme ivre d'alcool, de vitesse et de bêtise.
http://romane16anspourtoujours.blogspot.com/2010/04/deux-hommes-en-noir.html

Comme nous manque la chaleur de ta présence, de ton rire, de ta voix. Ton intelligence, ton exigence et ton impertinence.

mercredi 7 avril 2010

Deux hommes en noir



C’est un jour comme les autres. Enfin depuis quelque temps les jours sont un peu différents, depuis un peu plus de trois mois et demi. Parce qu’il y a trois mois et demi est né Gustave, un petit garçon beau et rond, un bébé de magazine. Tu le trouves magnifique… dès que j’ai le dos tourné ! Tu prends le berceau dans ta chambre et tu lui parles de ta vie de grande. On se dispute assez souvent. C’est difficile d’avoir un petit frère à 16 ans, à l’âge où l’on peut déjà faire l’amour et même être mère, c’est difficile de voir sa mère se transformer en baleine et mettre au monde un enfant qui prend de la place. Alors tu as un peu peur de ne plus en avoir assez, de la place. Mais petit à petit chacun prend la sienne. Je “joue” à la maman qui se fâche, tu “joues” à la jeune fille qui boude. Puis parfois tu viens te poser là, près de mon bureau et tout reprend son cours, de confidences et de partage.

C’est un jour comme les autres. Zéphyr vient de prendre le train pour repartir à Lyon, on fait les courses avec le landau vert, et tu m’appelles pour la énième fois sur mon portable pour me demander si ce soir nous pourrions vous accompagner à Thônes avec Barbara. Je dis non. Et puis je parle avec David, je me dis que c’est presque la fin des vacances, que c’est vrai, que je t’ai un peu délaissée avec la naissance de Gustave. Après tout une fois ton petit frère couché je peux te conduire là-haut. Je t’appelle, je te dis oui. Tu es toute contente, tu fais des essayages pour savoir quelle tenue mettre. Tu demandes l’avis de Barbara, celui de Souad, puis le mien… qui n’est pas le même. Du coup tu ne sais plus. La blouse en soie dans le jean ou au dehors ? Je ne sais plus ce que tu as choisi. Dedans ou dehors. Je ne suis plus sûre du jean que tu avais choisi non plus. Dessus tu as mis ton blouson vert, ça j’en suis sûre. Et tes bottines en daim. Tu virevoltes et je râle. Je te demande de descendre les poubelles et là c’est toi qui râle. En plus un liquide coule de la poubelle et vient tâcher tes bottes. Je te menace de ne pas t’emmener si tu continues à te plaindre de si peu. Et nous partons.
Je conduis tranquillement, il y a trois places à l’avant, tu es à côté de moi et Barbara près de toi. Et on parle. Il fait très beau. On vient de passer à l’heure d’été alors les jours semblent plus longs. Je me rappelle avoir dit que, quand même, vous exagériez, nous habitons tout près du centre ville et vous voulez toujours monter à 15 km de là. Tu me dis que tu as réfléchi, que oui, tu vas tenter le conservatoire de théâtre à la rentrée prochaine. Je suis heureuse. Je me dis que finalement tu écoutes mes conseils et que tu fais un peu plus confiance à tes talents. On arrive. Je vous dépose toutes les deux, tu reviens vers moi et tu me demandes avec un grand sourire “Maman, tu m’aimes ?”. Je t’ai répondu avec un agacement feint “Mais oui, allez, il faut que je rentre maintenant. Et vous êtes sages !”.

Je ne sais plus ce que l’on a fait ce soir-là. Un peu regardé la télé probablement. J’avais bien en tête ma journée du lendemain, plein de choses à faire. Un samedi.

Il est 5h du matin et je crois entendre la sonnette. Oui ça sonne, ça sonne. Je pars dans le couloir, je me dis, ce n'est pas vrai, elles sont redescendues seules et elles ont oublié les clés. Ton grand frère m’a déjà fait le coup… Je m’apprête à vous ouvrir et à me fâcher.
“Madame, c’est la police”.
Ils sont deux tout en noir. Ils sont jeunes. Ils disent “Madame, votre fille a eu un grave accident”. Je dis que ce n’est pas possible. Que c’est moi qui vous ai conduit. Il y a erreur. Il me disent, “ votre fille s’appelle bien Romane Perrier, elle est lycéenne à Berthollet ? Il faut que vous appeliez la gendarmerie”. Ils auraient du me dire tout de suite, mais sans doute en me voyant ils n’ont pas pu. Gustave se réveille. David est là. J’appelle. La voix dit “Madame, votre fille est décédée cette nuit dans un accident de voiture”. Je regarde David, je prononce les “mots”. Les policiers me demandent si ils doivent rester. Je dis que je veux la voir. On me dit que ce n’est pas possible. Pas maintenant. On me dit qu’ils étaient cinq dans une voiture. Qu’on ne sait rien. Qu’il y a un autre mort et des blessés. Gustave a faim. David va prévenir Souad dans sa chambre. Je ne sais plus dans quel ordre. J'ai toujours les jambes nues, je vais dans notre chambre, je crois que je pousse un cri. David dira que j’ai hurlé.

Ce soir là vous avez décidé de sortir dans un village un peu plus haut, un ami vous y a conduit, puis vous êtes partis de votre côté, toi, Etienne et Barbara.
Vous avez rencontré Alexandre, et vous avez décidé de redescendre en stop. Deux garçons, deux filles.
L’homme qui s’est arrêté avait beaucoup bu. Et il aimait “faire” de la vitesse. Probablement a-t-il voulu “vous faire peur”. Vous l'avez supplié d'arrêter, vous avez crié. Moins de deux minutes après vous avoir pris il a quitté la route, pas une trace de frein. Il est près de 2h du matin. Etienne et Romane n’auront plus jamais peur.

C’était il y a presque un an, le 18 avril 2009.



Françoise / Lili / Doune... La maman de Romane

19 commentaires:

Stéphane MERMILLOD a dit…

Françoise,
Je te souhaite du fond du coeur du courage et encore du courage, je me doute que chaque jours est difficile mais tu va y arriver, j'en suis sûre,
Courage à toi et ta famille

Unknown a dit…

j'ai pleuré ce matin en lisant ton texte il est tellement beau
plein de douleur , d'amour, de souvenirs
je t'aime très fort françoise
je n'ai que mon amitié à t'offrir en soutien

Unknown a dit…

Ma petite françoise, si bouleversée ce matin que je n'ai pu te répondre de suite...ta douleur est toujours à vif ...je te comprend comme tu peux imaginer .... Quel cri d'amour a ta Romane ,après avoir poussé ce cri de douleur,en apprenant qu'elle n'était plus... Mais en fait ,elle là, a tout jamais en toi Françoise ...elle revit tellement dans ces mots dans ces photos....si vivante et douloureusement absente... oui, la souffrance de la perte te donne la force ,chaque jour ,de mettre un pas devant l'autre et d'etre encore plus"dans la vie "pour tes deux garçons,et tes proches qui t'entourent de leur amour et de leur affection.je t'embrasse tendrement.

Arnault P. a dit…

J'ai lu dans Libération ce matin, "2 années sans toi". Je suis allé sur votre blog. Dédié à Romane. La tristesse d'avoir perdu une âme si forte, son sang, son lien, son enfant, il n'y a pas de mots. L'Amour demeure. Plus fort encore que le souvenir. Je suis un anonyme parmi mille et mille. Je m'associe à votre peine. Dr Arnault Pfersdorff, pédiatre quelque part en France

Anonyme a dit…

Je suis aussi une lectrice du Libé et tout comme Arnaud j'ai ouvert le journal ce matin à la page Carnet... J'ai été extrêmement touchée par votre histoire. je me joins à votre peine et tous mes encouragements pour continuer...

Christel a dit…

Bonsoir,
Lectrice aussi de Libé ce texte m'a bouleversé. J'avais gardé l'article pour me souvenir du nom. Je vous souhaite plein de courage pour continuer.

Anonyme a dit…

J'avais gardé l'annonce de Libé. J'ai lu et dit au moins 10 fois depuis le beau texte d'Aragon. Ce matin, je cherche le blog, trouve votre histoire et sais enfin pourquoi le ciel est bleu.
Je ne sais pas si c'est bien de dire ça mais sachez que votre annonce a illuminé un matin de la vie de 5 personnes!

Olivier a dit…

Pardonnez moi Madame. J'ai vu la photo sur le journal et les vers d'Aragon. Les deux m'ont émus.
Alors je suis entré; j'ai poussé la porte. Depuis la pièce que j'occupe, dans mon appartement, je n'ai plus entendu le bruit de la ville, dehors. Les mots ont résonnés. La peine aussi et le silence s'est installé.

Méjo a dit…

Beaucoup ont du poser l'annonce de Libé à coté de leur ordinateur, beaucoup l'ont lue certainement, certains ont envoyé un message, d'autres auront seulement le coeur serré, impuissants, ne trouvant pas les mots.

Je vous envoie de mon jardin un grand bouquet de belles fleurs blanches odorantes,lilas, glycines, narcisses, muguets.

Méjo, La Suarderie 37110 Saunay

Méjo a dit…

Pas denouveaux "commentaires". Comme ce mot est peu approprié pour ces messages...
On ne "commente" pas avec Romane, on essaie de vous dire qu'on vous aime sans vous connaitre, vous qui l'avez tant aimée.

La soirée est orageuse, l'air lourd embaume les accacias.

Méjo

jaulin a dit…

J'ai pleuré en lisant ces lignes....je suis un étranger et découvre ce matin une jeunesse assassinée...je suis envahit d'une grande tritesse...quoi vous dire , sinon qu'en pensée je suis avec vous....repose en paix petite Romane

Chantal Bonnet a dit…

Bonsoir,
revoir le visage de votre fille me bouleverse, elle a l'age de ma fille!
Je suis la maman de Mickaël B qui était en primaire avec Zéphyr.
Je pense savoir ce que vous avez dû endurer et encore maintenant!
Laissez vous porter par vos enfants, Gustave et Zéphyr vous entraînent dans la ronde de la vie,
laissez-vous aller!
Romane en serait heureuse, je suis sûr!
Je vous embrasse de tout coeur

Chantal

Unknown a dit…

J'ai vu il y a quelque jour un article dans le dauphiné. Et depuis je lit votre blog.
Je comprend tellement votre douleur...
J'ai deux copines qui sont décédé dans un accident de voiture, elles ne buvaient jamais quand elles conduisaient.
Malheureusement le fou furieux qui est arrivé en face lui était ivre, et en plus de ça il faisait la course avec un copain. Percuté de plein fouet, elles avaient aucune chance de s'en sortir...
Je vous comprend tellement...
J’espère que vous et votre famille tenez le coup malgré tout...
Bonne continuation.
Coralie

Méjo a dit…

La maison est pleine d'enfants en vacances et de belles adolescentes qui rient, chantent, regardent des films, se photographient avec toutes sortes de chapeaux, se moquent de nous, adorent les pâtes au saumon et les crêpes de leur grand'père, se trempent dans la rivière, rient de tout et de rien...

Et on se dit que c'est fragile, qu'il faut les laisser être belles et heureuses, qu'il faut être indulgents et généreux, se rappeller ce temps de l'insouciance et des désirs...

Et pensez à vous très fort et vous faire une petite place dans ce temps bienheureux des vacances.

Méjo

Méjo a dit…

Nous pensons ce soir très fort à tous ceux qui l'ont aimée

Méjo


Un message précédent n'est peut-être pas arrivé jusqu'à vous...

Emilie a dit…

Une grande pensée pour vous, ses parents, et ses frères.

Je ne connaissais pas Romane personnellement mais j'étais au Lycée Berthollet en même temps qu'elle. Comment ne pas la remarquer, elle était si jolie et paraissait si douce! C'est souvent que je pense à elle.

Je suis tombée aujourd'hui sur votre blog, ce n'est peut être pas un hasard.. j'ai pu remarqué qu'elle était née le même jour que moi, le 22 Janvier.. Je sais désormais que chaque année je soufflerai aussi mes bougies pour la belle Romane. Elle restera à jamais dans ma mémoire.

Du fond du coeur.

Emilie

rebecca a dit…

une photo ,un texte dans le journal, j'ai osé aller voir et j'ai retenu mon émotion………Pour Romane et pour vous, l'amour et l'amitié pour vous porter!

Hln maman de Vénus et de Rose!

Anonyme a dit…

Qu'écrire après vous avoir lu ? c'est un long week-end de 3 jours, dont 10 minutes avec vous, 10 minutes de silence, pour vous avoir croisé, je ne m'y attendais pas.
Mais je reviendrai....

Anonyme devant les seuls prénoms de Romane, des siens, et des vôtres.

Anonyme a dit…

Bonsoir Françoise.

Je suis un Papy de 64 ans, deux enfants (dont un qui vit à Annecy), quatre petits enfants.
Je lis peut-être Libération une fois tous les deux ans, et encore, et ce 21 avril, je l'ai lu à …. Prague !
J'ai conservé la page, car j'ai été très touché par votre message à Romane.

A mon retour à Nice, je me suis connecté au blog.
Ce n'était absolument pas de la curiosité malsaine, mais tout simplement car j'étais très ému.
Alors, que dire après ma visite ……

La vie est vraiment injuste.

A partir de ce soir, à chaque fois que je regarderai un beau ciel étoilé, j'aurai une pensée pour Romane, car j'en suis sur, elle brille tout la haut.

Cordialement,
Bernard