« Ma vie au loin mon étrangère
Ce que je fus je l'ai quitté
Et les teintes d'aimer changèrent
Comme roussit dans les fougères
Le songe d'une nuit d'été »
Ce que je fus je l'ai quitté
Et les teintes d'aimer changèrent
Comme roussit dans les fougères
Le songe d'une nuit d'été »
Louis Aragon
7 ans. Je ne reviendrais plus.
7 ans ton âge de morte et l’âge de vivant de ton petit
frère. Cet âge que l’on dit « de raison ».
7 Ans, trop de morts, trop de vie, plus de mots, je ne
reviendrais plus.
Ce qui se trame entre toi et moi et à quelle date, ne
regarde plus que nous. J’aime encore trouver ici les petits mots de personnes que
j’aime et qui t’ont aimé, et ceux des quelques anonymes qui suivaient le fil
des annonces dans Libé. Et Méjo. Et en recevoir encore. Petites traces d’autres
pensées que les miennes.
Mais il n’y aura plus d’annonce dans Libé. Ce devait être la
dernière, j’ai écrit le petit mot, choisi une photo… et au moment de choisir la
date je ne pouvais pas sélectionner le 18 avril, seulement le 19. Trop tard.
J’ai appelé… La voix au bout du fil était terriblement neutre, service minimum
et sans appel. Mettre l’annonce le 19… ou pas. S’il me fallait un signe pour
confirmer ma décision, il était là.
Ici, c’est ta « tombe » numérique, sur celle-ci
les mots, sur l’autre des fleurs. De moins en moins souvent sur les deux. Mais
ça ne me désespère pas, ça me semble le chemin naturel de la vie. Ton empreinte
est en moi et ce qu’elle est en moi, ce que je vis avec elle, est à la fois
constant et palpitant. Comme un organe.
Me replonger dans tes photos à date fixe c’est plonger
délibérément dans la douleur à date fixe aussi. Je ne veux plus. Je ne peux
plus.
Il y a cette maison que je crois tu aurais aimé. Je ne
savais pas que j’aimerais autant voir et faire vivre le jardin. Que je me
réjouirais au printemps de voir pointer le bout des pivoines que nous avons
déplacé au pied du lilas. Que je me lèverais à 5h pour rendre visite aux
tomates en été…
J’ai planté les rosiers de Méjo. Il y a beaucoup de rosiers
ici dont un surtout devant la maison qui est le tien. Il était là quand nous
sommes arrivés et il est évident que c’est le tien.
Ma douce, mon aimée, j’ai regardé ce matin les petits
diaporamas que j’avais fait pour tes 11 ans. J’aurais voulu les mettre ici mais
les technologies ont évolué et moi pas autant, il faudra que j’y passe un peu
plus de temps peut-être.
Je ne pourrais pas planter le jasmin étoilé aujourd’hui, il
pleut. Alors je vais trier les jouets de Gustave. On vient de lui faire un lit
« cabane d’aventurier, chevalier, chercheur d’or, pirate » dans une
jungle où les toucans côtoient les chouettes et les ptérodactyles. Et les
dragons aussi.
« Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton cœur
Un dragon plongea son couteau
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent »
Louis Aragon
Je t’aime.
Maman