A ma douce...


En mémoire de Romane.
Belle et intrépide Romane, tuée à l'aube de sa vie d'adulte par un homme ivre d'alcool, de vitesse et de bêtise.
http://romane16anspourtoujours.blogspot.com/2010/04/deux-hommes-en-noir.html

Comme nous manque la chaleur de ta présence, de ton rire, de ta voix. Ton intelligence, ton exigence et ton impertinence.

mercredi 14 avril 2010

Nous restions dieu merci à la merci d’un abribus...


Le jour était clair, le soleil se montrait, le premier jour du printemps pointait le bout de son nez et nous étions là, assises en tailleur sous cet abribus, tandis que devant nos yeux naïfs les gens avançaient, se pressaient dans les navettes défilant une à une. Tu souriais.  
Droite, voire raide malgré tes jambes entremêlées, tu ne te souciais guère des regards, du soleil, des oiseaux, ni même des gens, tu n’attendais aucun bus mais tu étais là, élégante et romantique, fumant cigarette sur cigarette, dont la fumée dansait entre tes yeux verts lorsque tu la soufflais, insouciante. Tu étais belle. 
Tu étais belle mais on s’en foutait. La vie devant nous, nous n’avions qu’à tendre la main pour la cueillir, il s’agissait seulement d’en avoir envie, mais pour l’instant nous restions dieu merci à la merci d’un abribus.
Le vent faisait onduler tes cheveux. Tu t’inquiétais de temps à autre de la disposition de tes mèches, jetant un coup d’œil à ton miroir de poche. Tu parlais, accompagnant tes paroles de la musique de tes rires, assemblant gracieusement les mots, ta voix douce mais ferme soulignant tes convictions, réfutant ce que tu haïssais. Tu refaisais le monde avec l’eau de rose de tes pensées, tu jouais avec les temps et les modes, tu te moquais de l’imprévu, ton futur ne se résumait pour l’instant qu’au trottoir d’en face, au repas du midi, à la soirée du samedi, aux prochaines vacances. Et à l’amour, aussi.                
L’insouciance berçait nos âmes. Tu portais un de ces fins pulls de coton qui dévoilait ta nuque, d’une teinte grise soulignant ta peau exsangue, tu étais fragile et forte à la fois, déterminée et emplie de doutes, drôle sans le savoir, amoureuse de différents garçons, amoureuse de l’eau à l’orange, amoureuse des livres, amoureuse de l'amitié, amoureuse du cinéma, amoureuse de la vie.
Qu’elles avaient de la chance, ces deux filles-là, sur ce banc abrité d’un couvercle de verre. Protégées, gardées, assurées de ce qu’il leur restait. De tout ce qu’il leur restait, et de tout ce qu’elles avaient déjà. Qu’elles avaient de la chance, avec leurs petits tracas du quotidien, avec leurs peines et leurs joies, leurs rires et leurs pleurs. Qu’elles avaient de la chance. Qu’elles avaient de la chance d’ignorer qu’elles en avaient.
[   Adélaïde  ] 
Une amie de Romane

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"Qu’elles avaient de la chance. Qu’elles avaient de la chance d’ignorer qu’elles en avaient"

Que cette phrase me bouleverse
Si belle et si poignante
le temps s'est arrêté sur toi
Ou alors tu as stoppé le temps Romane
Virginie